La lettre des décideurs

Action pour le climat

Caroline Luche Rocchia
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Action pour le climat
Le prix d’une indispensable révolution industrielle, économique et sociale
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La France s’est engagée avec ses partenaires européens sur des objectifs et une planification pour 2030 pour viser la neutralité carbone en 2050. L’action pour le climat devient un levier de transformation profonde pour l’économie française. Alors que l’horizon 2030 et 2050 se profile, l'anticipation et la préparation aux changements deviennent indispensables. Dans le cadre de la mission confiée par la Première ministre à Jean Pisani-Ferry, sous le secrétariat de France Stratégie, des rapports de synthèse et thématiques publiés en mai 2023 ont contribué à améliorer notre compréhension des impacts macroéconomiques de la transition climatique pour demain[1]. Quels sont les enseignements à en tirer et quelles sont les perspectives sociales ?

En substance, si la neutralité carbone est atteignable, elle implique une transformation d’envergure dans la substitution de capital aux énergies fossiles, nécessitant de très lourds investissements, qui induira un coût économique et social important. Parce que ces investissements seront orientés vers l’économie des combustibles fossiles, la transition pourrait entraîner un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point du PIB par an d’ici 2030.

La transition va créer et détruire des emplois de manière hétérogène selon les métiers et les territoires. Le choc risque d’être rapide et concerner des bassins d’emploi difficiles à reconvertir. En raison de l’inadéquation entre l’offre et la demande sectorielle ou géographique, la transition climatique devrait augmenter les besoins de réallocation entre métiers et aggraver les difficultés existantes : qualifications insuffisantes, besoin de mobilité professionnelle et géographique, faible attractivité de certains postes de travail (conditions de travail et rémunération). Ces freins sont suffisamment sérieux pour dégrader davantage le recrutement dans certains métiers déjà en tension et devraient, selon les experts, alimenter les pressions inflationnistes[2].

VUE D’ENSEMBLE : UN MARCHÉ EN PLEINE MUTATION

La transition écologique redéfinit le paysage de l’emploi à travers des secteurs variés. Le rapport thématique souligne notamment l’importance du secteur de la construction, de l’agriculture durable, des énergies renouvelables et de l’économie circulaire comme vecteurs de création d’emplois. Cependant, la réussite de cette transition est conditionnée par une série d’actions concrètes, notamment le renforcement des formations et l'accompagnement des reconversions professionnelles.

RÉINDUSTRIALISATION : VERS UNE ÉCONOMIE DURABLE ET COMPÉTITIVE

La réindustrialisation représente un défi majeur pour la France, a fortiori dans le contexte de la transition écologique. Selon le rapport de synthèse, il est impératif de réorienter l'industrie française vers des filières moins carbonées et plus durables. Les stratégies de relocalisation et de développement des secteurs stratégiques pourraient être bénéfiques pour l’emploi.

Par exemple, le secteur de la réparation ou de la réutilisation de produits pourrait générer 25 fois plus d'emplois que la destruction de ces mêmes produits.

SECTEUR TERTIAIRE : UNE ÉVOLUTION ACCÉLÉRÉE

Le secteur tertiaire, qui représente une part prépondérante de l’économie française, est au cœur de la transition écologique. Il est projeté que l’efficacité énergétique, le conseil en développement durable, et les technologies vertes connaîtront un essor, contribuant ainsi à une augmentation significative des offres d'emploi. Les experts évoquent une croissance potentielle dans le domaine des services numériques environnementaux, qui pourraient créer de nouveaux emplois et transformer les modes de gestion traditionnels.

ANTICIPATION ET ACCOMPAGNEMENT DES TRANSITIONS

A l’aune des travaux de Jean Pisani-Ferry et des tendances observées, les entreprises françaises pourraient envisager plusieurs mesures pour anticiper et accompagner efficacement les mesures de changement et de transition :

  1. Les entreprises pourraient augmenter leur investissement dans la formation continue de leurs salariés pour les préparer aux métiers de demain et aux nouvelles compétences requises par la transition écologique. Cet investissement représenterait une répartition plus équitable de la valeur ajoutée, bénéficiant directement aux salariés et à la compétitivité à long terme de l'entreprise.

  2. Renforcer les dispositifs de participation et d'intéressement peut être une manière de partager les bénéfices liés aux gains de productivité et aux économies réalisées grâce aux initiatives écologiques. Cela peut également servir à motiver les salariés à s'engager dans la démarche de transition de l'entreprise.

  3. Les entreprises pourraient revoir leurs politiques salariales pour mieux récompenser les compétences et les rôles clés dans la transition écologique. En outre, elles pourraient introduire des bonus liés à la réalisation d'objectifs environnementaux.

  4. Promouvoir l’actionnariat salarié permettrait aux employés de devenir des acteurs de la stratégie à long terme de l’entreprise, notamment en matière de développement durable. Cela pourrait renforcer leur engagement et leur sentiment d’appartenance. L’adaptation du partage de la valeur doit être envisagée comme un investissement dans la résilience et la durabilité de l'entreprise sur le long terme.

  5. Les entreprises pourraient intégrer des critères liés à la transition écologique et la performance sociale dans la rémunération variable des dirigeants, afin d'aligner les intérêts des dirigeants avec les objectifs de développement durable de l’entreprise.

  6. Dans le prolongement de la Loi Climat et Résilience promulguée en 2021[3], renforcer le dialogue social autour des enjeux de la transition écologique peut permettre de mieux anticiper et gérer les impacts sur l'emploi et les compétences, tout en partageant les efforts et bénéfices de manière plus équitable.

En conclusion, la transition écologique est à la fois un défi et une opportunité pour la France.

Le secteur tertiaire, au cœur de l’innovation, et la réindustrialisation, vecteur de compétitivité, jouent un rôle crucial dans cette évolution. La clé d’une transition réussie réside dans une planification stratégique et des investissements ciblés pour aligner le développement économique et la durabilité environnementale. Il est temps pour les pouvoirs publics, les entreprises et les partenaires sociaux de s’engager dans des choix courageux.

[1] Les incidences économiques de l’action pour le climat | France Stratégie (strategie.gouv.fr)
[2] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2023-les_incidences_economiques_de_laction_pour_le_ climat-thematique-marche_du_travail.pdf
[3] LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2021/8/22/TREX2100379L/jo/texte JORF n°0196 du 24 août 2021