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Dans un arrêt du 4 octobre dernier1, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) s’est prononcée sur l’enregistrement en tant qu’indication géographique protégée (IGP) de plusieurs appellations visant de la charcuterie corse.

Cette affaire remonte à décembre 2015 lorsque le Consortium des Charcutiers Corses dépose auprès de l’INAO plusieurs demandes d’enregistrement d’IGP dont notamment « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté ».

Le syndicat des AOP corses s’est opposé à l’enregistrement de ces IGP en soutenant que ces IGP créeraient un risque de confusion avec les appellations d’origine protégée (AOP) « Jambon sec de Corse », « Lonzo de Corse » et « Coppa de Corse », enregistrées en 2014. 

Il convient d’ores et déjà de rappeler les définitions des IGP et des AOP :

  • L’AOP désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit. C’est un signe européen qui protège le nom du produit dans toute l’Union européenne. C’est la notion de terroir qui fonde le concept des AOP et ces dernières visent à garantir qu’un produit est issu d’une zone géographique donnée.
  • L’IGP identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité́, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique. L’IGP s’applique aux secteurs agricoles, agroalimentaires et viticoles et visent à garantir qu’un produit a été conçu selon un savoir-faire local spécifique. Elle ne se crée pas, elle consacre une production existante et lui confère dès lors une protection à l’échelle nationale mais aussi internationale.

Le Conseil d’Etat français a rejeté le recours du syndicat estimant que les AOP et les IGP étaient suffisamment distinctes et que les produits étaient de qualité différente et s’adressaient donc à un public différent.

En effet, les produits AOP « Jambon sec de Corse », « Lonzo de Corse » et « Coppa de Corse » proviennent de porcs de race « nustrale », élevés de manière sauvage dans les montagnes et ce sont donc des produits onéreux tandis que les produits IGP « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté » utilisent de la viande non-spécifique et sont donc peu onéreux et plus accessibles pour le public.

La Commission européenne n’était toutefois pas du même avis que le Conseil d’Etat français et a refusé l’enregistrement des IGP au motif que celles-ci évoquaient les AOP antérieures2.

Après plusieurs années de procédure, cette affaire est présentée devant la CJUE qui a rendu récemment son arrêt dans lequel elle a suivi le raisonnement de la Commission européenne et a donc refusé l’enregistrement des IGP « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté ».

Il ressort plusieurs enseignements intéressants de cet arrêt :

  • La CJUE considère que la Commission européenne doit vérifier si la dénomination qui fait l’objet de la demande d’enregistrement ne porte pas atteinte à une dénomination antérieure qui serait déjà enregistrée dans l’Union européenne et plus particulièrement la Commission doit s’assurer que la dénomination n’évoque pas la dénomination déjà enregistrée. 
  • La Commission dispose d’un pouvoir autonome lors de l’examen des demandes d’enregistrement et le pouvoir de contrôle européen prime ainsi sur les décisions nationales et ce, afin de s’assurer du respect et d’une application uniforme des règles prévues par le règlement européen. 
  • Dans le cadre d’un conflit entre deux dénominations (IGP et/ou AOP), le juge doit s’appuyer sur la notion d’évocation. Plus précisément la CJUE rappelle que « la notion d’« évocation » recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination protégée, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de cette dénomination » (paragraphe 62). En l’espèce, la CJUE n’a d’ailleurs pas retenu les arguments des parties concernant les différences de prix entre les AOP et IGP, jugeant que cette seule différence ne suffisait pas à écarte le risque d’évocation.

La CJUE a considéré que les dénominations étaient quasiment identiques et conceptuellement proches au regard de la synonymie des termes « Corse » et « l’Ile de Beauté ».

Cet arrêt vient donc préciser le système de partage des compétences entre la Commission européenne et les autorités nationales ainsi que le rôle donné à la Commission en matière de protection des indications géographiques. Plus encore, la CJUE vient affirmer une relation hiérarchique entre la Commission européenne et les Etats membres.

Par ailleurs, en se fondant sur la notion d’évocation, il semblerait que le système européen de protection des AOP/IGP ne se rapproche de plus en plus à d’autre système comme celui des marques.

1* Cour de justice de l’Union européenne, 4 octobre 2024, affaire C-579/23, Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses.

2* Commission européenne, 26 octobre 2021, décision d’exécution (UE) 2021/1879.

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