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La crise du Covid-19, l’explosion du télétravail, et la forte inflation de 2023 (+ 4,9%) ont créé une situation inédite et bouleversé le marché de la location immobilière en France, selon les quartiers, les types de locaux, et leur situation géographique.

En région, certains nouveaux quartiers de bureaux excentrés recherchent désespérément des preneurs à bail. A Paris, la demande se concentre sur certains quartiers de l’hypercentre (QCA) qui ne connaissent pas la crise avec des loyers prime fleurtant avec des sommets jamais atteints de 1000€/m2 et plus,  et un taux de vacance au plus bas (2,7%) soit une vacance quasi nulle. Tandis que le marché se désintéresse des autres quartiers et de la première couronne, avec un taux de vacance jamais atteint de 26,3% comme à St Ouen (moyenne 380€/m2 loyers bureaux prime), contre 530€/m2 en loyers prime à la Défense avec un taux de vacance de 14,3% (Chiffres T1 2024). Des locaux, des étages, parfois des immeubles entiers, vides qui restent à la charge financière des investisseurs.

Forcément, face à une telle situation inédite, le marché doit s’adapter, et les contrats de baux avec, de surcroit dans une période d’inflation inédite depuis plus de 30 ans.

Dans les zones de forte vacance, les bailleurs vont proposer des locaux, des prix, et des clauses d’indexation attractives pour juguler l’effet inflation (ILAT : + 6,51% en 2023) et attirer les preneurs, tandis que dans les zones en hyper demande, les preneurs, subissant déjà une forte hausse des prix à l’entrée, tenteront de « limiter la casse » en négociant, notamment, leurs clauses d’indexation.

L’occasion et l’actualité se prêtent donc à faire un point juridique sur les clauses d’indexation, au regard des dernières décisions de la Cour de cassation et des Cours d’appel.

On rappellera que la rédaction des clauses d’indexation des baux commerciaux est un sujet sensible, qui fait l’objet d’un important contentieux, aboutissant souvent, si la clause est mal rédigée, à l’annulation pure et simple de l’indexation sur toute la durée du bail et au remboursement du preneur par le bailleur. L’addition peut donc s’avérer douloureuse.

1. La clause d’indexation est nulle si la période d’application de l’indice est supérieure à la durée contractuelle: Attention à la première période d’indexation souvent critique.

En réalité il s’agit même d’une nullité imprescriptible puisqu’une telle clause est réputée « non écrite », de sorte que le preneur à bail peut opposer cette nullité à son bailleur à tout moment, sans risque de se voir par exemple opposer une quelconque prescription.

Et l’erreur est fréquente et souvent constatée lors des audits de baux commerciaux, notamment lors de la première indexation. Un classique du genre.

De quoi s’agit-il exactement ?

Le bail entre en vigueur en cours d’année. Les parties prévoient, souvent pour simplifier les choses, (i) soit que l’indexation se fera au 1er janvier de chaque année en cas de clause d’échelle mobile, (ii) soit au 1er janvier tous les 3 ans.

Les parties, souhaitant une indexation sur toute la durée du bail, commettent souvent l’erreur de choisir comme indice de référence celui publié à la date d’entrée en vigueur du bail, (en cours d’année, pour rappel) et l’indice qui sera publié au 1er janvier. Or, l’article L112 du Code Monétaire et Financier dispose notamment que « Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision. »

C’est le cas dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris: Plus de 20 ans après la signature du bail, et sur le fondement de l’article L112 du Code monétaire et financier, BNP Paribas, en qualité de preneur, conteste et obtient l’annulation de la clause d’indexation du bail commercial d’une de ses agences bancaires et obtient la restitution de plusieurs centaines de milliers d’euros payés à titre d’indexation du loyer à son bailleur depuis 20 ans, c’est à dire depuis l’entrée en vigueur du bail.

CA Paris pôle de 5, ch.3, 7 décembre 2023 n° 21/15328 , jurisadata n°2023-022786.

Pourquoi ? Parce-que la première période de révision de 3 ans était supérieure à celle effective entre les 2 indices (moins de 3 ans, le bail étant entré en vigueur en cours d’année).

Par la suite, les parties avaient substitué d’un commun accord une autre clause d’indexation, elle aussi réputée non écrite par la Cour.

Dont acte. Mais si cette erreur ne concerne qu’une partie de la clause, le reste de la clause d’indexation est-il applicable ou la clause est-elle annulée dans son ensemble? La clause est-elle divisible, une partie légale, et une partie illégale, permettant d’écarter la partie illégale et de n’appliquer que la partie légale ? Il y a débat judiciaire sur ce point :

2. Une clause d’indexation juridiquement défectueuse est considérée comme indivisible, et donc annulée sur toute la durée du bail, si la suppression de l’irrégularité rendrait la clause inapplicable

Sur ce point, l’appréciation relève des juges du fond, c’est-à-dire des Cours d’appel. Même si la Cour de cassation a posé le principe dans plusieurs arrêts (par exemple C.Cass, 3ème civile 11 mars 2021, n° 18-24.599, C.Cass, 3ème civile 12 janvier 2022, n° 21-11.169), selon lesquels l’indivisibilité doit être démontrée.

Ce critère reste néanmoins pour partie subjectif, certaines Cour d’Appel ayant tendance à annuler les clauses dans leur ensemble, tandis que d’autres appliquent de façon plus exégétique la jurisprudence de la Cour de cassation en cherchant un effet potentiellement divisible dans les clauses en question.

3. Les clauses dites « tunnel » actuellement utilisées par les rédacteurs pour tenter de juguler l’inflation doivent respecter une stricte réciprocité dans l’intérêt du bailleur ou du preneur, à défaut de quoi elles seront déclarées illicites

Particulièrement en période d’inflation, les parties, ou une partie plus qu’une autre, peut avoir intérêt à tenter de limiter les effets de la clause d’indexation, et les indices auxquels le bail commercial se réfère (ILAT & ILC principalement).

Tel est notamment l’intérêt du bailleur, si son bien est situé dans une zone géographique de vacance élevée : pour conserver son locataire dans les lieux, et éviter de le voir partir ailleurs, le bailleur a intérêt à limiter à la hausse l’indexation. Mais le bailleur souhaite aussi parfois se garantir une indexation plancher minima, qu’il estime légitime, en contrepartie de l’indexation plafond consentie.

C’est ici que les choses se compliquent.

Les praticiens, pressés par leurs mandants, rédigent ainsi des clauses d’indexation avec un taux plafond et un taux plancher.

Toutefois, ce type de clause, appelée « clause tunnel » est scruté par les juges, la jurisprudence étant désormais attachée au respect d’une stricte réciprocité entre les parties.

Ainsi, une clause fixant un plafond d’indexation à +3,5% et un plancher à +1,5% s’est-elle vue récemment annulée, la Cour d’appel saisie considérant qu’une telle clause ne respectait pas le principe de réciprocité entre les parties, puisque la clause ne jouait qu’à la hausse, y compris lorsque les indices étaient à la baisse. En conséquence, la Cour d’appel de Paris dans ce cas précis a condamné le bailleur à rembourser à son locataire l’intégralité des sommes perçues depuis l’entrée en vigueur du bail à titre d’indexation, l’irrégularité étant indivisible: la suppression de cette irrégularité rendait la clause tunnel inapplicable.

CA Paris pôle de 5, ch.3, 7 décembre 2023 n° 21/15328.

En conclusion :
La clause tunnel reste sans-doute la meilleure alternative permettant contractuellement de contenir l’effet inflation, pour les locations exclues du plafonnement de l’ILC, étant rappelé que l’ILAT ne subit aucun plafonnement.  Leur rédaction reste toutefois délicate et certains points restent encore à valider par la jurisprudence. Il y a toutefois fort à parier qu’en cas de respect rédactionnel d’une stricte réciprocité (ex : un plafond à la hausse et un plancher et à la baisse strictement identiques, + 3,5% maximum et – 3,5% maximum par exemple), de telles clauses ne trouveraient pas matière à critique par les juges.

Actualité Baux Commerciaux

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