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La défense de vos droits : détection des atteintes, précontentieux et contentieux
La crise sanitaire actuelle et les mesures de confinement prises en réponse à celle-ci par le gouvernement ont impacté brutalement le marché du M&A, entraînant le report ou l’abandon de nombreux processus de cession ou d’acquisition d’entreprises en cours.
À moyen terme, cette tendance pourrait toutefois se ralentir voire s’inverser. En effet, avec la crise économique qui s’annonce, de nombreuses entreprises vont voir leur valorisation décroître et leur modèle économique fragilisé ce qui pourrait avoir pour effet de relancer des opportunités de rachat ou de consolidation dans certains secteurs.
Dans ce contexte de crise inédit, acquéreurs et vendeurs sont confrontés à de nouveaux enjeux stratégiques : pour le vendeur, il s’agira de s’assurer que le processus de cession ira bien à son terme grâce à la mise en place de mesures permettant d’assurer une continuité d’activité de la société cible dans un environnement économique dégradé tandis que l’acquéreur cherchera, à l’inverse, soit à se désengager, soit à renégocier les conditions de son engagement d’acquérir afin d’appréhender au plus près les effets de l’épidémie sur le niveau de valorisation de la cible et la poursuite de son activité.
Les négociations en cours
Dans les négociations en cours qui ne seraient pas encore finalisées, les parties vont être amenées à reconsidérer certains aspects fondamentaux de la transaction et à se poser les questions suivantes.
- La valorisation : les résultats historiques de la cible sont-ils toujours une bonne référence pour la fixation du prix et les projections financières sont-elles encore valables ? Les synergies attendues peuvent-elles encore être réalisées ?
- La portée de la lettre d’intention : dans quelle mesure une lettre d’intention acceptée est-elle contraignante et une partie peut-elle en modifier les conditions ou même y renoncer ? On rappellera ici le principe d’ordre public posé par l’article 1104 du Code civil qui énonce que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Ce principe s’appliquera de façon distincte selon que la lettre d’intention est qualifiée d’offre non engageante ou d’offre ferme. Dans le premier cas, la dégradation des conditions économiques liées à la pandémie de Covid-19 pourrait constituer un motif justifiant la renégociation des termes de l’offre voire l’arrêt des négociations avec toutefois le risque que cette décision soit qualifiée de rupture abusive de pourparlers. En revanche, en présence d’une lettre d’intention qualifiée d’offre ferme, la remise en cause de l’offre s’avèrera plus difficile, voire impossible à obtenir si cette dernière a été acceptée par le vendeur sauf cas de force majeure reconnue à la pandémie ou en présence de conditions suspensives en particulier d’une MAC clause.
- Le calendrier : les délais prévus pour l’obtention du financement, la levée des conditions suspensives et la réalisation de l’opération doivent-ils être ajustés ?
- Les garanties : comment se prémunir contre le risque d’insolvabilité du vendeur en cas de mise en jeu des déclarations et garanties ou celui de l’acquéreur concernant le paiement du prix d’acquisition par l’acquéreur ?
Préparation de la lettre d’intention
Pour les opérations de M&A à venir, la situation exceptionnelle actuelle devra être prise en compte par l’acquéreur potentiel dès la rédaction de la lettre d’intention. Le calendrier de l’opération devra être assorti de délais suffisants pour la réalisation de certaines étapes de l’opération, telles que la phase d’audit et celle de la consultation des instances représentatives du personnel qui sont directement impactées par les mesures de confinement prises dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire. Il en ira de même de la durée d’une éventuelle clause d’exclusivité. Il sera par ailleurs conseillé à l’acquéreur de prévoir que la lettre d’intention aura un caractère non contraignant, de façon à pouvoir adapter les termes de la lettre ou la retirer en fonction de l’ampleur des conséquences liée à l’épidémie de Covid-19 sur l’activité de la cible.
Due diligence : nouveaux points d’attention
Des difficultés pourront également apparaître lors de la réalisation des audits (due diligence), notamment ceux qui supposent des déplacements sur les sites de la cible (notamment audit immobilier, audit environnemental), en raison des mesures de restriction des déplacements.
Par ailleurs, la situation économique de la société cible ou de l’activité à acquérir pourra avoir évolué depuis la finalisation des audits par l’acquéreur en raison de la situation sanitaire. Il conviendra alors de réaliser des travaux d’audit complémentaires afin d’appréhender les effets de la pandémie sur l’activité de la cible. Il s’agira principalement de vérifier que la cible est apte à poursuivre son activité en dépit les conditions économiques défavorables actuelles : identification et analyse des risques liés à l’impossibilité pour la cible d’exécuter ses obligations contractuelles (revue des contrats commerciaux en cours, des relations avec les clients de la cible), évaluation des plans de continuité d’activité mis en place au sein de la cible pour limiter les effets de l’épidémie.
Une attention particulière devra également être portée aux prévisions financières de la cible (chiffre d’affaires, trésorerie, EBITDA) qui devront être actualisées pour tenir compte de la dégradation de l’environnement économique actuel et de son impact sur les résultats futurs de la cible.
Dans le même sens, ces audits complémentaires permettront de s’assurer que les obligations au titre des contrats de financement souscrits par la cible (covenants), s’ils en existent, pourront être respectées par celle-ci et que la cible a demandé, obtenu ou est éligible au bénéfice des mesures de financement d’urgence (notamment report de charges sociales, chômage partiel, prêts garantis par l’État).
L’acquéreur devra enfin revoir les contrats et clauses d’assurance et de couverture de risques souscrits par la société cible à la lumière du contexte de crise sanitaire actuel afin de déterminer si les risques liés à la pandémie sont couverts.
Détermination du prix
Dans le contexte de crise actuel, l’acquéreur préfèrera prévoir une clause d’ajustement de prix basé sur des critères financiers vérifiables (par exemple EBITDA, dette nette, chiffre d’affaires) ou la mise en place d’un mécanisme de différé de paiement du prix ou de complément de prix (earn out) afin de pouvoir intégrer dans le calcul du prix d’acquisition une éventuelle dégradation de la situation financière de la cible au closing ou postérieurement à la réalisation de la transaction. À l’inverse, le vendeur préfèrera s’appuyer sur des valeurs historiques de la cible et un mécanisme de prix fixe (locked box). Des mécanismes hybrides pourront également être utilisés mêlant prix fixe et clause d’ajustement limité à la période intermédiaire ou sur certains critères bilanciels seulement tels que la trésorerie et le besoin en fonds de roulement.
En matière de cession de parts sociales, malgré la présence d’un prix fixe, le prix pourra être renégocié sur le fondement de l’imprévision (art. 1195 du Code civil). Cette possibilité est toutefois exclue en matière de cession d’actions (art. L. 211-40-1 du Code monétaire et financier).
Clause MAC et force majeure
La clause de changement défavorable significatif (material adverse change ou MAC clause) permet à une partie de mettre un terme à l’opération (et donc d’en renégocier les termes) en cas de survenance d’un évènement ayant un effet significatif défavorable sur l’activité, la situation financière ou le patrimoine de la société cible avant la conclusion définitive de l’opération. Ce type de clause constitue généralement une condition suspensive de l’engagement de l’acquéreur. En pratique, ces clauses sont le plus souvent limitées à des évènements ou circonstances intrinsèques à la société cible et non à des évènements extérieurs tels qu’une épidémie. Il conviendra donc de vérifier au cas par cas si les effets de l’épidémie de Covid-19 sont susceptibles de justifier la mise en jeu de ce type de clause ce qui sera source d’incertitude lorsque la rédaction de la clause ne sera pas suffisamment explicite. Pour les contrats de cession en cours de négociation, il sera donc recommandé d’inclure (ou d’exclure) expressément dans ce type clause, les effets de la pandémie actuelle afin d’éviter toute discussion lors de sa mise en jeu. La force majeure pourrait également être invoquée comme cause d’empêchement de l’exécution de ses obligations par l’une ou l’autre des parties à la transaction.
En effet, selon l’article 1231-1 du Code civil, la force majeure exonère le débiteur de sa responsabilité contractuelle du fait de son inexécution.
En l’absence de définition contractuelle, la notion légale de force majeure suppose traditionnellement que soit démontré par le débiteur de l’obligation, le caractère extérieure, imprévisible et irrésistible de l’évènement constitutif du cas de force majeure. S’il est possible de considérer que les conditions d’extériorité et d’imprévisibilité seraient probablement remplies s’agissant de l’épidémie de Covid-19 pour les contrats de cession conclus avant le 12 mars 2020, en revanche, la réalisation de la condition d’irrésistibilité semble plus douteuse notamment s’agissant de l’obligation de paiement du prix de l’acquéreur. En effet, selon la jurisprudence en vigueur, le simple fait qu’une obligation soit rendue plus onéreuse en raison de circonstances extérieures n’exonère pas le débiteur de son obligation de paiement sur le fondement de la force majeure. L’analyse pourrait néanmoins s’avérer différente s’agissant de l’exécution des obligations de la société cible.
Déclarations et garanties
La pandémie de Covid-19 est également susceptible d’avoir un impact sur les déclarations et garanties données par le vendeur dans le cadre du contrat de cession. De nombreuses entreprises se retrouvent en difficulté ou ont vu leur activité se réduire drastiquement en raison de l’épidémie pendant la période intermédiaire. De ce fait, la réitération au closing des déclarations et garanties par le vendeur, pourra du fait de la pandémie, s’avérer délicate et sujette à négociation avec l’acquéreur, plusieurs déclarations données au signing étant devenues incomplètes ou inexactes du fait de l’épidémie. L’impact du Covid-19 sur l’activité de la cible devra donc être pris en compte dans la détermination des déclarations et garanties et la possibilité de mettre à jour ces dernières avant le closing de l’opération.
Conditions suspensives
Dans le contexte actuel, une attention particulière devra également être accordée aux effets de la pandémie sur la réalisation des conditions suspensives subordonnant la réalisation de la transaction. Ainsi, par exemple, la pandémie pourra venir remettre en cause la capacité de l’acquéreur à financer l’opération s’il n’obtient pas les financements lui permettant de régler le prix d’acquisition. Elle pourra également entraîner des retards dans la délivrance d’autorisations réglementaires en raison de la réduction des effectifs ou de la fermeture de certaines administrations. L’obtention de ces autorisations constituant généralement une condition suspensive.
À moins que la partie qui bénéficie de la condition suspensive n’y renonce ou que les parties conviennent ensemble de reporter la date butoir pour leur levée, la transaction sera considérée comme caduque si les conditions ne sont pas réalisées dans les temps. Pour les transactions en cours de négociation, les parties devront donc veiller à prévoir un délai suffisamment long pour prendre en compte d’éventuels retards dans la réalisation des conditions suspensives ou prévoir la possibilité de reporter la date butoir.
Gestion de la période intermédiaire
Durant la période comprise entre le signing et le closing, le vendeur est censé poursuivre l’activité de la cible dans des conditions normales. Cependant, il est possible que l’épidémie détériore la situation économique de la cible et, dans ce cas, il sera opportun de prévoir la possibilité pour le vendeur de prendre des mesures qui permettront de limiter cette dégradation.
Signature de la documentation contractuelle
Étant donné les mesures de restriction des déplacements qui ont été mises en place par le gouvernement, le recours à la signature électronique dans les conditions prévues par la loi constitue une alternative efficace aux réunions de signature qui ont lieu au moment du signing et du closing.
Auteur : Marc Huynh, Avocat.