La clause de charges en période de bouleversement du marché immobilier et d’inflation. Quels changements ?

Notre Lettre d’Actualité n°7 de juillet 2024 (voir ICI) a présenté avec quelques exemples chiffrés à quel point la crise du Covid-19, l’explosion du télétravail et du commerce électronique avaient bouleversé tout le marché locatif des bureaux de nos villes françaises et de leurs périphéries, mais aussi tout le marché locatif des commerces urbains, dont certains ferment sans repreneur, laissant la place à des boutiques vides et à des rideaux de fer baissés.

Pas une ville de France n’échappe à ce phénomène.

Si l’on ajoute à cela une forte inflation inédite depuis plus de 30 ans, on passe du bouleversement à la disruption structurelle de certains marchés et zones géographiques.

S’il est forcément compliqué de négocier les termes du bail commercial de ses bureaux dans l’hypercentre parisien (QCA) tant la demande est supérieure à l’offre, le rapport de force n’est pas le même lors de la négociation d’un bail commercial d’une boutique QCA ou de locaux de bureaux dans une zone géographique hors QCA ou en périphérie.

C’est pour certaines entreprises cherchant à louer de nouveaux locaux commerciaux l’occasion de replacer l’église au milieu du village et de se rappeler que le preneur n’a pas, par essence, à prendre à sa charge les obligations incombant normalement au bailleur. Notamment le paiement de certaines charges ou taxes.

On sait que l’article R 145-35 du Code de commerce institué par la Loi Pinel a dressé la liste légale des obligations et charges qui ne peuvent pas être imputées au locataire.

Classiquement depuis, toutes les charges qui ne sont pas interdites par ledit article sont contractuellement transférées dans le bail commercial à la charge du locataire par ses rédacteurs. Telle est la pratique généralisée du marché.

Si un changement de pratique n’a pas encore réellement vu le jour, n’est-il pas légitime, face à certains taux de vacance jamais atteints comme 20% dans certaines communes périphériques de Paris, de s’interroger si l’occasion n’est pas venue de revoir pour les nouveaux beaux commerciaux les termes standards contractuels du marché ?

On pense notamment à plusieurs éléments importants tels que :

  • la taxe foncière, 
  • les travaux de mise en conformité 
  • l’assurance souscrite par le bailleur,
  • Les frais de gérance,
  • Et tout autre frais ou taxes incombant normalement au bailleur.

L’occasion et l’actualité se prêtent donc à rappeler les charges strictement dues par le locataire, et à les distinguer de celles que le bailleur transfère légalement au locataire mais qui - normalement - incombent au bailleur.

On sait en effet qu’en cas de renouvellement du bail, et de la détermination du nouveau loyer, la jurisprudence par application de l’article R.145-8 du Code de commerce déduit de la valeur locative le coût et les charges des obligations incombant au bailleur dont il se serait contractuellement déchargé sur le preneur.

Dans le cadre d’un marché perturbé des baux commerciaux, avec certains taux de vacance jamais atteints, outre les négociations de franchise de loyers, les futurs locataires ont l’opportunité de négocier désormais les clauses de charges, notamment celles qui par nature incombent au seul propriétaire bailleur. Sauf à constituer des clauses de charges exorbitantes du droit commun, certes légales, mais non moins exorbitantes du droit commun.

On rappellera que la rédaction des clauses de charges des baux commerciaux est un sujet souvent âprement négocié entre les parties ou leurs conseils, et qui fait l’objet d’un important contentieux dans le cadre de la fixation du nouveau loyer en cas de renouvellement du bail, et d’une jurisprudence désormais constante, claire et établie de la Cour de cassation, aux termes de laquelle la Cour de cassation impose de réduire systématiquement la valeur locative du bail renouvelé, de toutes les charges, taxes ou obligations normalement à la charge du bailleur, que celui-ci aurait transféré à son locataire par l’effet du contrat de bail initial.

1. La négociation d’un nouveau bail et la clause de charges.

Compte tenu de la pratique de marché bien ancrée de facturer au preneur toutes les charges que l’article R 145-35 du Code de commerce n’interdit pas, une négociation des clauses de charges ne sera vraisemblablement envisageable - pour les nouveaux baux commerciaux - que dans les zones géographiques en forte vacance locative.

Mais si tel est le cas, pourquoi s’en priver ? Dans ces zones de forte vacance locative, c’est désormais les preneurs qui ont la main, et ils auraient grand tort de ne pas négocier les clauses de charges des baux des nouveaux locaux qu’ils souhaiteraient intégrer et prendre en location.

Les preneurs sont légitimes à refuser contractuellement tout frais ou taxes incombant normalement au bailleur, telles que taxe foncière, travaux de mise en conformité, assurance souscrite par le bailleur, frais de gérance, etc.

Y parviendront-ils ? Seul l’avenir et les modifications éventuelles des pratiques du marché le diront.

2. Le renouvellement du bail commercial et l’abattement des charges et obligations dont le bailleur s’est contractuellement déchargé sur le preneur pour la fixation du nouveau loyer

En cas de renouvellement du bail, et dans le cadre de la détermination du nouveau loyer, dès lors que via les clauses du contrat de bail initial, le bailleur avait transféré à la charge du locataire une obligation, charge, frais ou taxe, normalement à la charge du bailleur, ces éléments viennent en diminution de la valeur locative.

Ceci par application de l’article R 145-8 du code de commerce et de la jurisprudence y afférente.

La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler sa jurisprudence désormais de principe en 2024, notamment dans un arrêt C.Cass 3ème Civ., 8 février 2024, n° 22-24.268, jurisdata n° 2024-001376, la Cour rappelant que le transfert de la taxe foncière sur le locataire constitue une charge exorbitante du droit commun, justifiant un abattement sur la valeur locative en cas de renouvellement du bail, peu important qu’il s’agisse d’un usage du marché, d’un usage dans un secteur géographique spécifique, ou que ce transfert de charges existe dans les loyers comparatifs pris en compte par un expert afin de déterminer la valeur locative.

Cette jurisprudence est, soit dit en passant, un véritable casse-tête pour les experts judiciaires, qui, alors qu’ils prennent le soin de comparer des loyers voisins comportant des clauses de refacturation de charges par le bailleur strictement identiques, voient leurs rapports chiffrés infirmés et rejetés, pour des motifs purement juridiques.

Il s’agit d’une interprétation restrictive de l’article R 145-8 du code de commerce en faveur du locataire, et d’une jurisprudence désormais constante et clairement établie de la Cour de cassation.

En conclusion :

La pratique du marché jusqu’à ce jour veut que toutes les charges que l’article R.145-35 du Code de commerce n’interdit pas de mettre à la charge du locataire sont contractuellement quasi systématiquement transférées dans le bail commercial à la charge du locataire par ses rédacteurs.

Y compris bien souvent des frais ou taxes incombant normalement au bailleur, telles que taxe foncière, travaux de mise en conformité, assurance souscrite par le bailleur, frais de gérance, etc. Aux termes de clauses qui sont pourtant, en cas de renouvellement du bail, qualifiées par la Cour de cassation de clauses exorbitantes du droit commun.

La disruption actuelle du marché immobilier locatif dans certaines zones géographiques connaissant un taux de vacance particulièrement élevé ouvre peut-être une opportunité aux preneurs de négocier désormais sérieusement leurs clauses de charges lorsqu’ils signent des baux commerciaux dans ces zones où l’offre locative est fortement supérieure à la demande.

Les preneurs à bail disposent en tout état de cause de sérieux arguments juridiques pour défendre leurs intérêts et tenter d’inverser une pratique de marché jusqu’alors quasi immuable.