Un promoteur souhaitant monter un programme de construction de résidences de tourisme destinées à la location, et souhaitant à la fois en faciliter le financement et garantir à ses clients particuliers une rentabilité d’investisseurs, fait appel à différents conseils pour mettre en place une opération de VEFA avec BEFA. Les clients ayant souscrit à ce programme de promotion immobilière étaient invités à signer chez un notaire un acte de Vente en l’Etat de Future Achèvement (VEFA) de leurs villas situées dans une résidence hôtelière à construire, ainsi qu’un Bail en l’Etat de Futur Achèvement (BEFA) de leurs villas signé chez le promoteur en même temps que leur contrat de réservation. Un bail commercial aux termes duquel tous les clients investisseurs confiaient pendant 9 ans la location de leurs villas à un exploitant unique de la résidence de tourisme, ces baux commençant le jour de la livraison de chaque villa.

Acte volontaire ou pas, l’histoire ne le dira jamais, le bail commercial (BEFA) contenait une clause au titre de laquelle le preneur à bail (c’est à dire l’exploitant de la résidence de tourisme) renonçait à son indemnité d’éviction, si le bail de 9 ans qui lui était consenti n’était pas renouvelé . A priori, s’agissant d’un investissement financier dans une résidence de tourisme, le mécanisme semblait bien huilé, et la rentabilité du bien garantie par les loyers des baux de chaque villas. On a souvent vu le même principe pour une chaine hôtelière bien connue.

Toutefois, on sait que dans un bail commercial, la clause aux termes de laquelle le preneur renoncerait à son indemnité d’éviction est nulle, s’agissant d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1958. Mais en 2002, lors de la rédaction des actes de ce programme immobilier, l’action en nullité de la clause se prescrivait par 2 ans à compter de l’entrée en vigueur du bail. Le risque pesait donc sur le preneur, exploitant la résidence hôtelière. Si l’exploitant n’assignait pas tous ses bailleurs avant 2 ans à compter de l’entrée en vigueur du bail, son droit au renouvellement de son bail était prescrit. Et c’est effectivement ce qui s’est passé.  L’exploitant a laissé passer la prescription biennale...

Mais la loi Pinel du 18 juin 2014 est venue changer la donne, et a réputé désormais une telle clause comme étant « non écrite », de sorte qu’elle n’est plus soumise à prescription de 2 ans, mais devient au contraire imprescriptible. L’orage s’annonce …

Et lorsqu’un des participants à ce programme immobilier a l’idée incongrue, après prorogation tacite du bail, de notifier en septembre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Pinel, à l’exploitant de la résidence hôtelière un congé sans offre d’indemnité d’éviction, de s’installer dans sa villa et d’en changer les serrures, l’exploitant se rebiffe et défend ses nouveaux droits issus de la Loi Pinel :

L’exploitant de la résidence assigne le propriétaire bailleur qui appelle en garantie le promoteur et le notaire. Le Tribunal d’instance puis la Cour d’Appel de Poitiers font droit à la demande indemnitaire du preneur à bail, la loi Pinel s’appliquant aux baux en cours à la date de son entrée en vigueur, la clause de renonciation à indemnité d’éviction par la société exploitant de la résidence de tourisme fut donc déclarée « réputée non écrite », ouvrant droit à indemnisation du preneur à bail pour perte de jouissance et obtention d’une indemnité d’éviction. Le promoteur et le notaire rédacteur de l’acte de VEFA (mais non du BEFA, qui avait été rédigé par une agence immobilière) sont condamnés à garantir le couple acheteur. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel, sauf en ce qui concerne la responsabilité du notaire qu’elle écarte par application de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil, la Cour considérant que le notaire n’avait pas commis de faute et qu’il n'était pas tenu d'une obligation de conseil concernant l'opportunité économique d'un bail commercial conclu par les acquéreurs sans son concours, ni de les mettre en garde sur le risque d'annulation d'une clause de ce bail qui était sans incidence sur la validité et l'efficacité de l'acte de vente qu'il instrumentait.

Pour les acquéreurs qui n’ont eu face à eux qu’un seul professionnel du droit sur cette opération immobilière, le notaire, l’arrêt laisse un goût amer d’injustice. A eux de se retourner contre le promoteur et l ’agence immobilière rédactrice du BEFA.

Quelles leçons tirer de cet arrêt ?

  •  Confirmation du principe que toute clause de renonciation à l’indemnité d’éviction dans un bail commercial est réputée non écrite, rendant l’action en contestation imprescriptible.
  • VEFA et BEFA: Entourez-vous de conseils avisés et personnels en cas de signature de contrats multiples constituant un ensemble contractuel ;
  • Focus impérieux sur la responsabilité des conseils participant à la rédaction d’actes liés tels que VEFA et BEFA: vérifiez la cohérence juridique de l’ensemble contractuel car rien ne dit que cette jurisprudence de la Cour de cassation sera confirmée à l’avenir.