Retour sur la jurisprudence 2024 qui a confirmé le revirement opéré en 2023 par l’arrêt Collectivision

Les contrats de fourniture de prestations de services, dits de « management » entre sociétés d’un même groupe sont la norme.  Par ces contrats, une société confie à une autre société du même groupe la réalisation de prestations de services de direction en contrepartie d’une rémunération. Forte d’une jurisprudence vieille de 20 ans, confirmée à de nombreuses reprises, l’administration fiscale française considère comme non déductible la rémunération de la sous-traitance des fonctions de dirigeant, en cas de dirigeant personne physique commun aux deux entités prestataire et bénéficiaire.  

I. Non-déductibilités des management fees : absence de contrepartie

Plus particulièrement, depuis l’arrêt Gamlor (CAA Nancy, 9 octobre 2003, 98NC02182), les conventions de management fees font l’objet d’un examen attentif lors des contrôles fiscaux. L’administration rejette la déductibilité des rémunérations versées indirectement à un dirigeant pour des services rendus inhérents à sa fonction. 

Dans cette affaire, la CAA avait considéré que les prestations de direction/gestion facturées pour le dirigeant commun correspondaient en fait à l’activité inhérente au mandat social de ce dernier et donc que ces prestations faisaient double emploi avec les fonctions de mandataire social. Dès lors, il n’existait aucune contrepartie justifiant la rémunération de ces prestations. Il y avait un appauvrissement de la société à des fins étrangères à son intérêt et donc un acte anormal de gestion. 

Il est à noter que la décision de la société bénéficiaire des prestations de ne pas rémunérer son dirigeant au titre de son mandat était une décision de gestion opposable, qui ne faisait pas obstacle à la caractérisation d’un acte anormal de gestion. 

Durant les 20 années suivantes, d’autres juges administratifs ont adopté une position similaire (CAA Bordeaux, 8 décembre 2005, 02BX01646; CAA Paris, 6 novembre 2019 n°18PA02628 Self Media). 

Cette jurisprudence fiscale s’inscrivait dans une approche civiliste qui jugeait qu’une convention conclue entre deux sociétés ayant des dirigeants communs (Cass Com, 14 septembre 2010, n°09-16.084) était dépourvue de cause faute de contrepartie réelle et était en conséquence nulle.

L’approche retenue était une approche juridique. 

II. Déductibilité des management fees sous conditions

20 ans après l’arrêt Gamlor, le Conseil d’Etat dans un arrêt Collectivision (4 octobre 2023, n°466887) a examiné, à son tour, la question de la déductibilité des management fees

Dans cette décision, les juges ont considéré que l’absence de rémunération directe de son dirigeant ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à une rémunération indirecte de ce dernier. 

En effet, le CE a jugé que la conclusion d’une convention de management ne relève pas en soi d’une gestion anormale qui suppose un appauvrissement à des fins étrangères à l’intérêt de la société. 

L’approche retenue en 2023 est une approche pragmatique qui appréhende de manière plus globale l’ensemble des relations et, de ce d’un point de vue, est plus économique et plus réaliste. 

La rapporteure publique dans ses conclusions énonce que les fonctions de direction sont matériellement assurées par la société prestataire de services, et que de ce fait, il existe une réelle contrepartie au management fees

Par ailleurs, la décision de verser à son gérant ou dirigeant une rémunération indirecte plutôt que directe n’emporte pas appauvrissement de la société

Ainsi, pour déterminer si les management fees sont déductibles, il est important de regarder si la convention de prestation de services « ne constituerait pas une façon indirecte mais assumée de rémunérer le dirigeant pour ses fonctions de direction, et qu’elle n’emporte aucun appauvrissement et ne relève donc pas d’une gestion commerciale anormale ». 

Par cet arrêt, le CE reconnait la déductibilité des management fees dès lors que le contribuable apporte la preuve 

  • De la réalité des services rendus 
  • Du caractère non excessif des rémunérations (indirecte et directe si existantes) ;
  • D’une décision entérinée par les organes de la société (CA, AG, …) de rémunérer indirectement le dirigeant.

La décision Collectivision a été confirmée par le CE dans un nouvel arrêt du 26 avril 2024 (n°458958). Le CE a, à ces conditions, jugé déductibles les rémunérations facturées par la mère à sa fille à raison des salariés qu’elle y avait détaché pour en assurer la direction, en application des statuts de cette dernière. 

Dans son arrêt du 7 mai 2024 n°21VE01760, la CAA de Versailles, quant à elle, précise que le versement d’honoraires en exécution d’une convention de management conclue entre 2 sociétés ayant des dirigeants communs n’est pas constitutif en soi d’un acte anormal de gestion. 

La déductibilité des management fees versés de manière indirecte au dirigeant comment, dans la jurisprudence récente, semble être conditionnée à (i) l’absence de double rémunération (CAA de Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA01336, Sté Keracs); (ii) l’existence d’une contrepartie/ réalité des services rendus (CAA de Paris, 23 octobre 2024, n° 23PA01999, Sté Bistro de l’Arc) et (iii) une décision de rémunération indirecte par les organes de décision (TA La Réunion, 23 octobre 2024, n° 2200934, FFM Conseils et CAA de Nancy, 15 novembre 2024, n° 22NC02974, Sté Technic Industries)

III. La nullité juridique des conventions de management fees

La question de la nullité juridique de ces conventions a été soulevée par la rapporteure publique de l’arrêt Collectivision. Pour elle, la nullité d’une convention ne devrait pas nécessairement et automatiquement impliquer un acte anormal de gestion. 

En effet, l’illicéité de la cause n’implique pas nécessairement que la convention ait été passée dans un intérêt étranger à celui de l’entreprise (CE 11 juillet 1983, n°33942) et donc ne soit appréhendée comme un acte anormal de gestion. 

Pour qualifier un acte anormal de gestion conduisant à la non-déductibilité des management fees, le juge de l’impôt se doit uniquement de fonder sur la reconnaissance d’un appauvrissement de la société à des fins étrangères à son intérêt sans se fonder sur des qualifications contractuelles.  

Il faudra être attentif à l’évolution de cette jurisprudence qui ne s’est pas encore prononcée notamment sur le régime fiscal pour le dirigeant des sommes perçues. 

Déductibilité des management Fees : 20 ans après

Déductibilité des management Fees : 20 ans après

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