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Les mesures fiscales de faveur instaurées à l’initiative du Gouvernement ne suffiront pas, seules, à maintenir la santé économique des entreprises françaises. Affectées par le Covid-19, les entreprises ont toutes le même objectif : renflouer leur trésorerie pour être le moins impactées et repartir rapidement de l’avant.
Le ralentissement des activités comptables et fiscales combiné à la lenteur des services administratifs contribuent à allonger les délais de paiement des factures émises par les entreprises. Cette crise sanitaire inédite aura été un révélateur. Le recours à la dématérialisation des factures s’impose comme la solution clé pour permettre un échange rapide et fiable des factures avec ses clients et obtenir au plus vite le paiement correspondant.
Également, les délais de règlement courent pour payer les factures des fournisseurs, avec une vigilance accrue de l’Etat en la matière, notamment au niveau des grands groupes, afin de limiter les risques de défaillance dus au retard de paiement. Le risque pour les entreprises en retard est de perdre les garanties de l’Etat pour souscrire un emprunt. Or, avec le cCovid-19, ces délais de traitement sont mis à mal dès l’amont du processus Invoice-to-Pay, avec des lenteurs de prise en charge des factures qui ne sont pas dématérialisées.
Si le contexte économique actuel démontre aisément l’intérêt du recours à la facturation électronique, le contexte législatif tend, quant à lui, à l’imposer pour les années à venir.
Faisant suite à l’instauration progressive, depuis 2017, de la dématérialisation des factures dans le secteur public par l’Ordonnance du 26 juin 2014, la loi de Finances pour 2020 impose désormais le principe de la facturation électronique entre entreprises assujetties à la TVA (relations B to B) au plus tôt à compter du 1er janvier 2023 et au plus tard avant le 1er janvier 2025.
Toutefois, la portée normative de ce dispositif est encore incertaine car elle dépend des précisions gouvernementales à venir mais surtout de l’obtention de l’autorisation expresse du Conseil de l’UE d’imposer sur le territoire national français le recours à la facturation électronique, cette dernière étant normalement optionnelle et soumise à acceptation par le destinataire.
Rappelons ce qu’est une facture électronique. Cette dernière doit être créée, émise et reçue sous une forme électronique. L’ensemble du processus de facturation doit donc être dématérialisé.
La signature électronique « qualifiée », le système d’échange de données informatisé (EDI) ou encore toute autre solution technique (ex : facture PDF) assortie d’une piste d’audit fiable constituent les procédés de facturation électronique légalement autorisés à ce jour.
L’obligation future de recourir à la dématérialisation des factures pose la question sous-jacente de la création d’une éventuelle norme de facturation électronique unique à compter de 2023. Le Gouvernement invite l’administration fiscale à jouer un rôle de coordinateur afin d’éviter des méthodes de facturation électronique disparates et incompatibles qui réduiraient l’homogénéité attendue de la facturation électronique.
A l’instar du portail Chorus Pro pour les marchés publics, l’administration fiscale pourrait instaurer un portail dédié à la facturation électronique. Plus largement, le nouveau format « Factur-X », format hybride qui permet d’obtenir une facture sous un format PDF mais également d’accéder aux données XML qu’elle contient, pourrait s’imposer voire même devenir la norme au niveau européen.
L’investissement supporté en vue de la mise en place d’un processus de facturation électronique en interne ne doit pas être un frein au recours à ce dispositif qui présente des avantages non négligeables.
La dématérialisation des factures permet une atténuation des contraintes fiscales.
En effet, lorsqu’une entreprise recourt à l’une des deux méthodes de facturation électronique susmentionnées, l’administration fiscale considère automatiquement que la facture satisfait aux conditions d’authenticité, de lisibilité et d’intégrité et elle est dispensée de l’obligation de mettre en œuvre une piste d’audit fiable décrivant les process de facturation et les contrôles internes mis en place.
Plus largement, la facturation électronique renferme des avantages tant quantitatifs (accélération des processus de facturation, meilleure maîtrise des délais de paiement, réduction des coûts de la fonction Finance) que qualitatifs (élimination sur le moyen terme des coûts administratifs liés au traitement des factures, amélioration de la traçabilité comptable, fiabilisation des données en évitant les erreurs de saisie et amélioration de la démarche environnementale en réduisant l’usage du papier).
Enfin, le recours à la facturation électronique place les entreprises françaises en ligne avec la pratique observable dans les autres Etats membres : si la facturation électronique est admise dans la plupart des pays de l’Union européenne, elle est devenue, depuis le 1er janvier 2019, obligatoire dans les relations interentreprises en Italie. Ce ne sont que les prémices d’un mouvement européen global de digitalisation et de numérisation obligatoire du processus de facturation.
Les impacts du Covid-19 mettent en évidence de manière accrue l’intérêt d’investir dans un logiciel de dématérialisation fiscale des factures, qui permet de s’affranchir des étapes humaines de scanning et vidéocodage notamment. En effet, plusieurs sociétés déjà dotées de solutions de digitalisation des factures ont vu leurs services facturiers et leurs centres de vidéocodage, en local ou à l’international, mis à mal par le confinement. Certaines entreprises ont ainsi « boosté » le recours aux PDF structurés sur leur plateforme de dématérialisation avec leurs fournisseurs, qui ne nécessitent pas de vidéocodage.
En raison des difficultés actuelles rencontrées par les entreprises, l’administration fiscale a admis, à la suite d’une publication sur le site impots.gouv.fr en date du 3 avril 2020, de traiter, pendant la période de confinement, des factures éditées sur un support papier puis transmises sous format PDF (i.e. des factures papier au sens fiscal du terme) comme des éléments suffisamment probants pour permettre la déduction de la TVA alors même que l’émetteur de la facture n’a pas fait parvenir l’original papier au destinataire. Le bénéfice de cette mesure de faveur est conditionné à une régularisation ultérieure à l’issue de l’état d’urgence sanitaire.
Une telle mesure met en évidence la volonté gouvernementale de soutenir les entreprises mais ne résout pas le problème de fond : les entreprises vont devoir faire face à des difficultés économiques qui perdureront au-delà de la crise sanitaire. Ainsi, la facturation électronique permettrait aux entreprises de ne pas rester dans l’attente de l’instauration, par le Gouvernement, d’autres mesures de faveur afin de contourner les contraintes de la facturation papier.
La facturation électronique apparaît également comme un moyen efficace à la disposition du Gouvernement pour lutter contre la fraude fiscale. Si la TVA est une des ressources budgétaires les plus rémunératrices pour l’Etat, elle demeure néanmoins un impôt de prédilection pour la fraude fiscale. Ainsi, la fraude à la TVA atteint 15 milliards d’euros chaque année.
Pour endiguer cette propagation de la fraude TVA, la Loi de Finances pour 2020 a complété l’obligation de facturation électronique pour les entreprises assujetties à la TVA par un dispositif de transmission automatique, via une plateforme dédiée, des données figurant sur les factures à l’Administration fiscale. Ce dispositif de transmission automatique, dont les modalités pratiques sont encore inconnues, sera utilisé à des fins de modernisation du recouvrement de la TVA et d’amélioration des contrôles TVA. La date d’entrée en vigueur de ce dispositif sera calée sur celle de l’obligation de recourir à la facturation électronique, soit entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025 selon le calendrier gouvernemental dont la publication par décret est attendue.
La chasse aux fraudeurs est ouverte !
Grâce à ce dispositif de transmission automatique des données, l’Administration fiscale disposera de nombreuses informations relatives à la TVA collectée et déductible des contribuables, en amont du déclenchement de contrôles fiscaux.
Ce changement de paradigme ne doit pas conduire à écarter le principe du débat oral et contradictoire, ni à instaurer un contrôle omnipotent de l’Administration fiscale dans la vie des affaires.
La conjoncture économique et l’évolution législative tendent à inciter les entreprises à s’orienter rapidement vers un système de dématérialisation fiscale de leurs factures. Ce changement organisationnel interne permettra l’optimisation de la gestion de la trésorerie, la mise sous contrôle du paiement des fournisseurs et la continuité de l’activité : trois atouts primordiaux dans le contexte actuel.
En outre, recourir à la signature électronique qualifiée ou la facturation EDI permet également de s’affranchir de la piste d’audit fiable, document complexe et redouté des contribuables mêlant l’informatique et la fiscalité, qui n’est pas exigée dans ce cas par l’Administration fiscale.
Aussi, le lancement d’un projet de digitalisation et de dématérialisation fiscale des factures, celle-ci devenant obligatoire entre 2023 et 2025, doit devenir une des priorités des entreprises. La pénurie d’expertise sur le marché doit conduire les entreprises à une vigilance accrue et à une anticipation de l’instauration d’un tel projet avant qu’il ne devienne légalement obligatoire.
Auteurs : Elvire Tardivon-Lorizon, Avocate, Associée et Marine Plançon, Fiscaliste.